dôme 45 / HOA 7
21’30
Une des manières les plus simples de se représenter l’espace sonore est de le considérer à travers le point de vue singulier d’un auditeur placé au centre d’un paysage, et d’en partager la sphère perceptive, la tête dans une bulle transparente aux limites incertaines.
Prenons alors cette sphère : tentons de reconstituer le point vers lequel tout semblait converger par un réseau de projecteurs placés sur sa périphérie, et, pour des raisons pratiques, n’en conservons que la moitié supérieure. Cette demie coquille, cette surface bombée ouverte sur le vide, forme alors un espace haut-parlant paradoxal aux propriétés remarquables car, heureusement, la sphère tronquée est aussi un dôme truqué !
Son premier paradoxe est que là où se placent les auditeurs est également l’endroit où l’on ne peut réellement situer aucun son, seulement y répandre leurs fantômes, en espérant que ceux-ci se croiseront de temps en temps d’une paire d’oreilles sur leur passage.
Son second paradoxe est qu’il faut s’élever pour aller au centre, et par conséquence, qu’on ne peut monter sans en même temps se rendre au milieu : les deux dimensions sont indissolublement liées.
Son troisième paradoxe est qu’il ne possède pas vraiment de surface… Entre les points plus ou moins espacés des nœuds qui constituent son maillage, les sons s’aggrippent, glissent, ou disparaissent ?
Enfin son quatrième paradoxe, qui ne lui est d’ailleurs pas propre, est celui de sa taille, de son étendue. Il ne s’agit pas seulement d’une question de proximité ou d’éloignement, d’une histoire de présence et de distance, de ce qui est ici et de ce qui est ailleurs, de ce qu’on imagine voir et de ce qu’on peut toucher… c’est toute l’histoire du son haut-parlant qui, à partir du moment où l’on ferme les yeux, génère de nouveaux espaces, irréductibles au dispositif technique et au lieu dans lequel il se trouve.
“Les paradoxes d’une sphère tronquée” est une grande volière construite comme un puzzle 3D fourmillant d’images et d’objets animés.
À la manière d’une larve de phrygane qui construit son fourreau à partir des débris de matières hétéroclites qui se trouvent autour d’elle, ce puzzle parcoure d’une manière fantasque une trentaine d’années de prises de sons et de techniques de captation microphonique (agrémentées de quelques emprunts prélevés ici et là…) qu’il découpe, juxtapose et imbrique sans vergogne tout autour des auditeurs.
Car la capture des sons-espaces et les multiples manières qu’ils ont de se révéler à nous au moyen des haut-parleurs constitue toujours pour moi une source d’émerveillement, et trouve avec ces paradoxes un terrain de jeu fantastique.
Et puis, derrière les rencontres un peu baroques, à travers les coïncidences plus ou moins prévisibles, se dessine peu à peu une histoire autour de ces fragments de vies disparues…
Jean Marc Duchenne
Né en 1959, après des études musicales (clarinette et écriture), ce compositeur se consacre depuis les années 80 entièrement à la composition sonore haut-parlante.
Que ce soit dans les installations, les séances de type concert ou lors d’interventions moins conventionnelles, ses œuvres sont presque toujours conçues comme des mondes à explorer, vastes ou minuscules, où la proximité avec les auditeurs représente un élément important, combinant le plaisir de la découverte avec l’expérimentation de formes artistiques originales.
L’intégration de la dimension spatiale et des situations d’écoute dans le processus créatif l’ont amené à développer ses propres outils de création et de diffusion, comme l’atelier-acousmonium au début des années 90 (64 canaux aujourd’hui avec l’Acousmonef) ou la série de plugins multicanaux “acousmodules”.
Il lui arrive également d’enseigner la composition acousmatique et les techniques du son.