Les Paradoxes d’une sphère tronquée de Jean Marc Duchenne joués à Graz dans le cadre du projet Micadôme

Fin 2019, une nouvelle œuvre acousmatique de Jean Marc Duchenne a été composée pour Micadôme.

L’écoute publique étant faite à l’endroit même où la composition est finalisée, on a demandé au créateur d’extraire une piste spécifique de sources sonores dont le jeu spatial sera confié au spectateur/auditeur lui-même, via un capteur physique en 3D : une forme inédite d’interprétation de l’espace musical.

A cette fin, une analyse détaillée de la composition des espaces dans un extrait de 8mn30s de l’œuvre a été réalisée par Michel Pascal avec le logiciel Acousmographe (Ina-GRM). Le dispositif aurait du être amené à Graz afin d’être joué durant le concert, malheureusement la pandémie de Covid a interdit notre déplacement. L’œuvre a toutefois pu être projetée à la fois sur place en multiphonie (24 pistes), et en streaming temps réel sur internet (en binaural) le mercredi 16 septembre 2020.


NOTES

[i] Ce travail a bénéficié d’une aide du gouvernement français, gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre du projet Investissements d’Avenir UCAJEDI portant la référence n° ANR-15-IDEX-01

[ii] Favreau, E., Geslin, Y., & Lefèvre, A. (2010). L’acousmographe 3. Journées d’Informatique Musicale (JIM 2010)

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Les paradoxes d’une sphère tronquée

dôme 45 / HOA 7

21’30

Une des manières les plus simples de se représenter l’espace sonore est de le considérer à travers le point de vue singulier d’un auditeur placé au centre d’un paysage, et d’en partager la sphère perceptive, la tête dans une bulle transparente aux limites incertaines.

Prenons alors cette sphère : tentons de reconstituer le point vers lequel tout semblait converger par un réseau de projecteurs placés sur sa périphérie, et, pour des raisons pratiques, n’en conservons que la moitié supérieure. Cette demie coquille, cette surface bombée ouverte sur le vide, forme alors un espace haut-parlant paradoxal aux propriétés remarquables car, heureusement, la sphère tronquée est aussi un dôme truqué !

Son premier paradoxe est que là où se placent les auditeurs est également l’endroit où l’on ne peut réellement situer aucun son, seulement y répandre leurs fantômes, en espérant que ceux-ci se croiseront de temps en temps d’une paire d’oreilles sur leur passage. 

Son second paradoxe est qu’il faut s’élever pour aller au centre, et par conséquence, qu’on ne peut monter sans en même temps se rendre au milieu : les deux dimensions sont indissolublement liées.

Son troisième paradoxe est qu’il ne possède pas vraiment de surface… Entre les points plus ou moins espacés des nœuds qui constituent son maillage, les sons s’agrippent, glissent, ou disparaissent ?

Enfin son quatrième paradoxe, qui ne lui est d’ailleurs pas propre, est celui de sa taille, de son étendue. Il ne s’agit pas seulement d’une question de proximité ou d’éloignement, d’une histoire de présence et de distance, de ce qui est ici et de ce qui est ailleurs, de ce qu’on imagine voir et de ce qu’on peut toucher… c’est toute l’histoire du son haut-parlant qui, à partir du moment où l’on ferme les yeux, génère de nouveaux espaces, irréductibles au dispositif technique et au lieu dans lequel il se trouve. 

“Les paradoxes d’une sphère tronquée” est une grande volière construite comme un puzzle 3D fourmillant d’images et d’objets animés.

À la manière d’une larve de phrygane qui construit son fourreau à partir des débris de matières hétéroclites qui se trouvent autour d’elle, ce puzzle parcoure d’une manière fantasque une trentaine d’années de prises de sons et de techniques de captation microphonique (agrémentées de quelques emprunts prélevés ici et là…) qu’il découpe, juxtapose et imbrique sans vergogne tout autour des auditeurs.

Car la capture des sons-espaces et les multiples manières qu’ils ont de se révéler à nous au moyen des haut-parleurs constitue toujours pour moi une source d’émerveillement, et trouve avec ces paradoxes un terrain de jeu fantastique. 

Et puis, derrière les rencontres un peu baroques, à travers les coïncidences plus ou moins prévisibles, se dessine peu à peu une histoire autour de ces fragments de vies disparues…

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One of the simplest ways to self picture the sound space is to consider it through the singular point of view of a listener positioned to the center of a landscape, and to share his perceptual sphere, the head placed in a transparent bubble with uncertain limits. So let’s consider this sphere: let’s try to reconstruct the point towards which everything seemed to converge through a network of projectors placed on its periphery, and, for practical reasons, only keep the upper half. This half shell, this curved surface open onto the void, then shape a paradoxical loudspeaker space with remarkable properties because, fortunately, the truncated sphere is also a rigged dome!

Its first paradox is that where the listeners are positioned is also the place where one cannot really situate any sound, only spread their ghosts around, hoping that these will cross from time to time by a pair of ears on their way.

Its second paradox is that you cannot rise without getting to the center, and therefore without at the same time going to the middle: the two dimensions are indissolubly linked.

Its third paradox is that it does not really have a surface … Between the more or less spaced points of the nodes which constitute its mesh, sounds are gripping, slipping or disappear?

Eventually, its fourth paradox, which is not specific to it, is its size, its extent. It is not only a question of proximity or distance, a story of presence and distance, of what is here and what is elsewhere, of what we imagine to see and that we can touch … here is the whole story of the loudspeaking sound, which, as soon as you close your eyes, generates new spaces, irreducible to the technical device and the place where it is located.

“The paradoxes of a truncated sphere” is a large aviary built like a 3D puzzle swarming with images and animated objects.

Like a phryganea larva which builds its scabbard from the scraps of motley materials around it, this puzzle whimsically travels over thirty years of sound recording and miking techniques (embellished with a few borrowings taken here and there …) that it shamelessly edit, juxtaposes and imbricates all around the listeners. Because the capture of space-sounds and the multiple ways they reveal themselves to us through loudspeakers, is always for me a source of wonder, and find with these paradoxes a fantastic playground.

And then, behind the somewhat baroque encounters, through more or less predictable coincidences, a story gradually takes shape around these fragments of disappeared lives …
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Jean-Marc Duchenne (1959)

Après des études musicales (clarinette et écriture), il se consacre depuis les années 80 entièrement à la composition sonore haut-parlante.

Que ce soit dans les installations, les séances de type concert ou lors d’interventions moins conventionnelles, ses œuvres sont presque toujours conçues comme des mondes à explorer, vastes ou minuscules, où la proximité avec les auditeurs représente un élément important, combinant le plaisir de la découverte avec l’expérimentation de formes artistiques originales.

L’intégration de la dimension spatiale et des situations d’écoute dans le processus créatif l’ont amené à développer ses propres outils de création et de diffusion, comme l’atelier-acousmonium au début des années 90 (64 canaux aujourd’hui avec l’Acousmonef) ou la série de plugins multicanaux “acousmodules”.

Il lui arrive également d’enseigner la composition acousmatique et les techniques du son.

http://sonsdanslair.free.fr