Séances des mardi 11 avril et 2 mai 2023 18h30
Going/Places À Ali, Clare et Emma
Un jour, il y a près de 25 ans, alors que j’enregistrais un périple dans le métro londonien, un visiteur égaré d’outre-mer m’a demandé des indications. Cet incident a fait germer l’idée d’une pièce sur le vaste thème du voyage et du sentiment de désorientation — d’aliénation, même — dont il peut être la cause. J’ai pris l’habitude de traîner du matériel d’enregistrement avec moi au début des années
1990, au moment où j’ai commencé à vouloir capter les événements sonores du quotidien qui traduisent une situation géographique.
J’ai donc accumulé une vaste bibliothèque sonore au fil des 25 dernières années, mais j’ai attendu 2014 pour explorer méthodiquement tout ce matériel, dans le cadre de trois œuvres interreliées: Hidden Vistas, une pièce à 20 canaux pour une galerie d’art créée à l’Ikon Gallery à Birmingham (Angleterre, RU); Espaces cachés, une œuvre de concert à 30 canaux créée au festival Klang! électroacoustique 2014 à Montpellier (France); et Secret Horizons, une pièce à 14 canaux pour une installation composée pour la Birmingham Sculpture Trail et créée à la RBSA Gallery à Birmingham.
Dans ces trois œuvres, mon approche consiste à ‘présenter’ le matériel d’une manière qui serait impossible dans la ‘vraie vie’, compte tenu des disparités géographiques des matières entendues simultanément. Physiquement, il nous est impossible d’être à deux endroits à la fois, mais c’est tout à fait possible dans le domaine de l’audition, particulièrement si on fait appel à la reconnaissance et à la mémoire personnelle. Le recours, pour la présentation de ces œuvres, à un vaste éventail de haut-parleurs souvent situés dans plusieurs salles ou répartis en plusieurs endroits d’une même salle me permettait de renforcer cette illusion.
Pourtant, il subsistait en moi le désir de soumettre ce matériel à une exploration acousmatique plus « approfondie ». C’est pourquoi j’ai été ravi lorsque Pierre Alexandre Tremblay — un de mes anciens doctorants à l’Université de Birmingham (Angleterre, UK), actuellement professeur de musique à l’Université de Huddersfield (Angleterre, UK) — m’a demandé de composer une œuvre multicanaux de 60 minutes lorsque j’aurais pris ma retraite. C’était l’occasion idéale.
J’ai pensé qu’il serait utile de donner quelques ‘repères’ (après tout, il s’agit bien d’un projet sur les voyages !). Mon intention n’est pas de vous dire ce que vous «devriez» entendre, mais bien de bonifier et de compléter votre écoute… et de vous donner autre chose à faire si vous vous emmerdez! Les moments musicaux, les «scènes» (certaines étant clairement délimitées, d’autres se chevauchant), sont des assemblages artificiels, entièrement. Certaines s’approchent beaucoup du reportage ou du documentaire, tandis que d’autres sont plus fantaisistes, mais elles ont toutes leurs origines dans des lieux précis. Et je ne crois pas que le fait de connaître ces lieux détourne votre expérience d’écoute (du moins, je l’espère).
Notre aventure démarre et se conclut en Italie, mon deuxième chez-moi. Entre ces deux scènes (l’une laissant deviner une mise en mouvement imminente, l’autre étant plus paisible et assagie), nous passons, de manière erratique et imprévisible, d’un endroit à l’autre entre l’Europe, l’Islande, l’Australie, l’Amérique du Nord, l’Afrique du Nord et certaines parties de l’Asie. Et les moyens de transport (trains, voitures, avions, bateaux, etc) ne sont jamais bien loin. Or, la logique narrative (s’il y en ait une), ne réside pas dans les connexions géographiques ou les distances, mais bien dans le périple «sonore»: les relations et les contrastes (spectraux, rythmiques, spatiaux) que j’ai eu l’immense plaisir de découvrir au sein de cette énorme quantité de matériel. J’espère que vous apprécierez cette ballade.
Première partie
- Gares ferroviaires à Florence, Pise, Rome et Castelfiorentino (Italie)
- Grillons sur la Great Ocean Road, Victoria (Australie), et événements enregistrés dans le Red Centre et le Queensland (Australie)
- Amuseurs de rue et agitation à Jemaa el-Fnaa, Marrakech (Maroc)
- Dans le SkyRail, survolant les oiseaux de la canopée tropicale, dans le Queensland (Australie)
- Vent, touristes, krías (sternes arctiques) et autres oiseaux à Snæfellsnes (Islande)
- Torrent sous-glaciaire et glace fondante dans une grotte du glacier Sólheimajökull (Islande); câbles résonants du mât d’antenne Hellissandur à Snæfellsnes (Islande)
- Locomotive à vapeur tournant au ralenti et le long de l’itinéraire ferroviaire touristique de Kuranda, dans le Queensland (Australie)
- Sources géothermales à Seltún (Islande) et Rotorua (Nouvelle-Zélande)
Deuxième partie
- De près et de loin : sifflets de locomotive au loin dans l’hiver de l’Ohio (ÉU) et prises de son rapprochées de voies ferrées du Royaume-Uni et de l’Australie-Méridionale
- Circular Quay, avec amuseurs de rue, traversiers et trains, entourés du paquebot Queen Mary 2 quittant le port de Sydney (Australie)
- Des quais flottants tirent sur leurs amarres près du Sydney Opera House (Australie)
- Échos subaquatiques des quais flottants et balanes dans le port de Sydney (Australie), près de la Grande barrière de corail (Queensland, Australie) et au large de Corfou (Grèce)
- Manifestation populaire à Montpellier (France)
- Ports, navires et martinets à Corfou et à Poros (Grèce)
- Encore des bateaux qui tirent sur leurs amarres, cette fois au club nautique de Boston (Massachusetts, ÉU)
- Insectes, grenouilles et singes dans la forêt équatoriale du parc national de Bako à Bornéo (Malaisie)
Troisième partie
- Pipeaux et tambours : ghaitas (instruments à anche double) à Marrakech (Maroc), fanfares de piccolos au Basler Fasnacht (Carnaval de Bâle) (Suisse), cornemuseurs (oui oui!) à Morelia (Mexique) et cortège religieux avec feux d’artifice en Thaïlande répondent aux pièces qui tombent dans les bols d’offrandes du Wat Pho (le Temple du Bouddha allongé) à Bangkok (Thaïlande)
- Les roues d’un train anglais résonnent sur les rails à travers l’évier de la salle de bain ; crissements de friction des wagons dans l’Eurotunnel
- Appel et réponse : les appels à la prière à Istanbul (Turquie) et Marrakech (Maroc — avec cigognes nichées qui font claquer leur bec) s’amalgament aux voix des chanteurs de gondoles à Venise (Italie) et à celles des crieurs d’un marché à Melbourne (Australie)
- En transit : annonces dans des aéroports — à Bangkok (Thaïlande), Brisbane (Australie), Helsinki (Finlande) et Dubaï (Émirats arabes unis), plus mon hommage à Bernard Parmegiani avec son indicatif qui a été utilisé à l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle (France) de 1971 à 2005 — et dans des avions, des trains et des bateaux, dont un vaporetto à Venise (Italie)
- Chœur d’insectes à la brunante, un soir d’éclipse lunaire dans la forêt tropicale du Queensland (Australie), qui fusionne avec les signaux pour piétons aux intersections et les cloches des navires au Museum of Old and New Art (MONA) à Hobart (Tasmanie, Australie); brèves apparitions d’une cloche de train à Oakland (Californie, ÉU) et tramways et passages à niveau à Melbourne (Australie)
- Cloches de Chartres (France), Venise (Italie), Berlin (Allemagne) et Corfou (Grèce), auxquelles s’ajoute l’horloge de Montaione (Toscane, Italie)
- Notturno
Jonty Harrison
Après un Doctorat en composition de la University of York (RU) en 1980 Jonty Harrison travaille à Londres entre 1976 et 1980 avec Harrison Birtwistle et Dominic Muldowney au National Theatre. Durant cette même période, il enseigne également la composition électroacoustique à la City University. En 1980 il devient professeur de composition et de musique électroacoustique à University of Birmingham, et directeur du Birmingham ElectroAcoustic Sound Theatre (BEAST).
Il en est désormais professeur émérite. À l’université de Birmingham, il a formé de nombreux compositeurs dont plusieurs sont maintenant des figures importantes de la composition et de l’enseignement de la discipline à travers le monde. Pendant dix ans, il assura la direction artistique du Barber Festival of Contemporary Music et dirigea le Birmingham Contemporary Music Group, le University New Music Ensemble, ainsi que le University Symphony Orchestra.
Jonty Harrison a obtenu divers prix et distinctions dans plusieurs concours internationaux dont une mention pour le fameux Prix Ars Electronica (Linz, Autriche).
Sa musique est jouée et diffusée à travers le monde. Elle est disponible sur quatre disques monographiques chez empreintes DIGITALes, ainsi que sur des compilations chez SAN/NMC, Cultures électroniques/Mnémosyne Musique Média, CDCM/Centaur, Asphodel, Clarinet Classics, FMR, Edition RZ et EMF.