Ce projet s’articule autour du processus d’archivage du procès V13 (*) réalisé par les chercheurs des Archives Nationales à Paris. Une installation sonore immersive et interactive exposera la trajectoire d’un chercheur imaginaire se penchant sur un patrimoine “difficile” et sensible, protégé et soumis à la Loi Badinter de 1985.
Le projet consistera en une partition sonore composée d’extraits d’entretiens avec les archivistes français qui ont classé les séquences filmées du procès.
En pratique, une composition sonore générative spatialisée interagira avec le mouvement des visiteurs dans la salle, permettant une fructification collective du contenu immersif. Plus précisément, les variations développeront une échelle d’exposition, visant à une gamme variable d’engagements émotionnels avec les documents. Le contenu audio réagira en fonction de la distance entre les spectateurs et une partie du contenu visuel, représentant le scan 3D d’une table d’archiviste remplie de documents partiellement lisibles.
Contrairement à une approche cinématographique de la réalité virtuelle à travers un casque 360°, le dispositif interactif proposé vise à interroger les notions d’immersion adaptées aux concepts sous-jacents de l’exploration des archives judiciaires du procès V13. Il abordera les questions d’empathie excessive, d’esthétisation de contenu violent et de statut de témoin du procès, tant du point de vue des personnes impliquées dans l’archivage que des spectateurs d’un film en réalité virtuelle.
En donnant aux visiteurs le choix d’être totalement immergés dans les voix des professionnels, ou bien au contraire de rester à l’écart comme simple spectateur, l’installation sensibilisera le public à l’existence d’un patrimoine sensible, tout en expérimentant une forme d’immersion “critique”. Éclairant les processus de fabrication de la mémoire, en mettant l’accent sur la construction et la médiation du souvenir, l’installation pourrait ouvrir de nouvelles voies pour la compréhension et l’interprétation de notre passé collectif.
Le procès V13
Le procès V13 est un procès différent des affaires pénales habituelles : pour sa grandeur et ses dimensions monumentales, il a été souvent défini comme un procès « hors norme ». L’un de ses objectifs a été de décrire le processus complexe conduisant à des actes de violence terroristes, avec une démarche similaire à la justice transitionnelle dans les pays en sortie de conflit. Ce procès hybride, mêlant justice pénale et justice transformative, met l’accent sur la signification du crime, la réparation et la restauration d’un tissu social menacé, ainsi que sur l’écoute des vérités subjectives des victimes. Classés comme « historique » et archivés au sein des Archives Nationales de Paris par effet de la Loi Badinter, les documents audiovisuels qui préservent ce morceau de mémoire collective resteront sous secret institutionnel pendant 75 ans. En s’appuyant particulièrement sur ce dernier aspect, le projet Voices of Fragments proposera une exploration de la réflexion issue de la création d’un corpus de documents ancrés dans la mémoire collective.
Techniques et esthétique
Le projet utilise les mécanismes esthétiques des médias immersifs et des techniques de composition sonore pour générer des contrastes synesthésiques, mettant en valeur les archives historiques du procès V13 conservées aux Archives Nationales de Paris. Ces documents d’archives sont inaccessibles au grand public pendant 75 ans, mais sont disponibles pour la recherche. Une modélisation 3D de l’espace de travail d’un chercheur imaginaire permettra de projeter différentes vues d’un objet 3D complexe sur un dispositif multiécran. Cette représentation visuelle évoquera des prismes aux multiples facettes, incitant le spectateur à chercher des éléments d’information tangibles dans les images proposées. L’objectif est d’évoquer les contours de la recherche sans dévoiler le contenu confidentiel des documents d’archives. Le spectateur sera invité à reconstituer de manière abstraite une image soumise à son interprétation.
Dispositif, scénographie et exploration de l’espace
La scénographie interactive permet aux spectateurs de naviguer à travers le corpus sonore. La position et le comportement des spectateurs seront analysés à l’aide d’une caméra infrarouge grand-angle placée au centre de l’installation. Cette vidéo permettra de déclencher des évènements et régir les interactions avec une scénographie générative.
Au centre de l’installation, les spectateurs seront baignés dans une ambiance faite d’extraits de phrases chuchotés, créant un halo sonore où les paroles ne sont pas identifiables. Seules quelques bribes de phrases seront audibles, laissant émerger une tonalité et une teneur lexicales. À mesure qu’ils se rapprochent de l’écran, les spectateurs entendront de manière plus précise le sens des témoignages. Cette approche permettra aux spectateurs de réguler leur exposition à une potentielle intensité émotionnelle, en choisissant de se focaliser sur certains témoignages ou de s’éloigner des écrans pour ajuster le contenu sonore diffusé. Les spectateurs pourront ainsi explorer les multiples facettes des témoignages tout en préservant leur propre sensibilité émotionnelle.
Lorsqu’un spectateur s’éloignera du centre et se rapprochera d’un écran, la nature des contenus diffusés gagnera en précision. En se rapprochant d’un écran, le spectateur déclenchera une tonalité, un discours spécifique. Diverses citations et passages constitueront une base de données, un réservoir de témoignages fractionnés et déclamés avec différentes intonations: parlées, murmurées, criées ou modulées par la vitesse d’élocution en fonction de la gravité du propos.
Si plusieurs spectateurs sont présents dans l’installation, différentes narrations interactives se superposeront, augmentant encore l’expérience multiperspectiviste. Chaque expérience individuelle contribuera à un processus d’exploration collectif complexe. La représentation en mosaïque qui en résulte offrira une variété de niveaux d’interprétation. Cette démarche permet aux spectateurs de co-générer la diffusion d’un corpus hétérogène partagé. Si l’émotion devient trop intense, le groupe pourra moduler la diffusion du contenu en agissant sur la scénographie afin de respecter la sensibilité de chacun.
Figure 1 Le dispositif
Figure 2 Interpolations des zones interactives pour la narration générative.
Perspectives et résultats envisagés
Les méthodes d’expression utilisées dans ce projet ont été précédemment testées dans diverses œuvres de Maxence Mercier (Reflet, Ombres portées, Iquisme – liens disponibles en bas de texte). Elles font toutes appel à des matériaux sonores et visuels sous forme de textes, échantillons, traitements sonores, spatialisation, multiécrans, et des systèmes de capture et de détection de la position et des mouvements des spectateurs. Ce qui distingue le projet sera son focus sur le traitement d’un corpus d’archives particulièrement sensibles, suscitant des problématiques singulières. La collaboration entre Maxence Mercier et Rosa Cinelli permettra d’établir une approche esthétique, déontologique et éthique pour l’utilisation de ces archives hautement symboliques.
Création conçue à Cannes dans le cadre du PhD Lab du Centre de recherche et de création XR2C2 par Rosa Cinelli et Maxence Mercier.
Les tests effectués dans Micadôme incluent l’utilisation d’un réseau sans fil de haut-parleurs intelligents, issus du dispositif Pré (**), dont le développement initié au Centre International de Recherche Musicale se poursuit désormais au conservatoire de Nice avec Camille Giuglaris.
(*) https://fr.wikipedia.org/wiki/Proc%C3%A8s_des_attentats_du_13_novembre_2015